2018 - Au fil du temps...

Bruxelles

La rencontre du spectateur avec l’artiste peut être intime. Elle a lieu parce qu’on l’a souhaitée ! Le spectateur, cet inconnu, est invité à traverser l’œuvre, des morceaux toujours choisis, qui ex-posent l’artiste dans ce qu’il donne à voir du souffle de ses souvenirs, de ses secrets, de ses désirs, de ses appréhensions, de ses refus catégoriques, voire des mouvements de la colère et de l’indignation qui s’emparent de son coeur et qu’il a jetés sur une toile, vierge : un geste du bras, sec, brutal, la lignant d’entailles verticales, qu’il a posé sans témoin. Un coup d’épée dans l’eau ? 

Il y aura une rencontre, un temps, un espace, un sens partagés. Ou pas. Combien de voyages et de vraies rencontres sont esquivés, préfèrent la réserve et la pudeur, évitent savamment qu’ils ne bouleversent, redoutent l’expérience de la chair ? Ce peut être un œil qui refuse de s’ouvrir. 

Des résonances de l’esprit, intérieures, affectives s’éveillent. Ou pas. Elles sont profondes ou si superficielles, hélas. Épais et douloureux mystère que celui-là. À l’âge de la parole, de sa libération (sic) ou de son assommante fébrilité, il faudra bien parler, recourir à des mots, des mots, des mots, des mots, des mots, dans l’ordre et le désordre, pour briser les silences rassemblés dans l’univers singulier de Bernard Boujol. Des silence-refuge, recroquevillés dans une chaleur, rouge, salée, aride, celle de l’émoi, du tumulte et celles de la douceur de dunes suaves, de courbes absolument féminines, souples, molles où il peut faire bon se lover ou, découvrir ou, se déchirer ou, perdre pied, à l’approche d’une nuit blanche qui tombe dans de lointaines imprégnations désertiques. Mirages. 

À l’exception du seul silence froid, celui de l’Antarctique, jonché d’éclats de verre aux reflets opalins, formé d’une banquise qui raidirait des corps givrés, dont les lèvres brûlées pourtant murmurent encore. Un silence d’une telle âpre froidure qu’il interdirait jusqu’à l’idée de jouir, de donner du corps à ses rêves, d’être en confiance avec plus grand que soi. Funambule. Au fil du temps, couché dans ses sillons. 

Qu’elle soit bordée par des silences chauds ou froids, la parole pourrait permettre à certaines langues de se délier ; nous entendrons dans cette salle les bruits de la conversation, des bribes. Nous entendrons aussi ce qui est tu ou doit se dire, peu importe ! Quand il évoluera sur cette scène cependant, le spectateur, qui ne se dévoile pas du reste, prendra je le souhaite une pause, lira le tableau et ses traits dans un élan de curiosité pour lui, d’abord, et pour celui qui porte ce qu’il peint comme une part de lui-même. Peut-être quittera-il ensuite sur la pointe du cœur. Qui sait ? 

Dans un temps qui est le sien. 

Martyne-Isabel Forest - auteure & conférencière, janvier 2018 (Québec, Canada)
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